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Friday 29 July 2016

Affaire Mike Ward : Le Tribunal des droits de la personne a-t-il confondu moralité et légalité d’un discours ?

Par Francois Goyer

La liberté d’expression repose sur la retenue qu’exhibe l’État lorsqu’elle évalue la moralité d’un discours. Ainsi, que ce soit par l’entremise des tribunaux qui s’abstiendront de se faire les arbitres du bon goût, ou encore des assemblés législatives qui n’imposeront pas aux citoyens des règles de bienséances dans leurs interactions, l’État protègera la liberté d’expression en ne considérant que des critères moraux minimaux pour permettre ou non une forme d’expression. En prenant ainsi une posture minimaliste sur le plan moral, l’État interdira les discours haineux, mais permettra d’autres formes d’expressions condamnables moralement, tel l’humour noir s’acharnant sur une minorité.

Le bien-fondé de l’interdiction des discours haineux fait toutefois l’objet de débats en philosophie politique, puisqu’il s’agit après tout d’un obstacle important à la libre circulation des idées dans une société, une valeur chère à l’idéologie libérale. C’est cette même idéologie libérale qui offre sur ce point la meilleure justification à l’interdiction des discours haineux, en démontrant comment ce type de discours, par sa nature même, freine la libre circulation des idées en expulsant des échanges démocratiques les minorités qui en sont victimes. En effet, comme l’explique Jeremy Waldron, les discours haineux communiquent aux minorités qu’ils visent un message ressemblant au suivant :

« [Traduction] Ne soyez pas trompés en pensant que vous êtes les bienvenus ici. La société autour de vous peut vous sembler hospitalière et non discriminatoire, mais la vérité est que vous n'êtes pas voulus, et vous et vos familles serez évités, exclus, battus et chassés, chaque fois que nous pourrons agir avec impunité. Nous devons peut-être garder profil bas pour l’instant, mais ne prenez pas vos aises. Souvenez-vous de ce que vous et votre minorité ont subi par le passé. Soyez effrayés. »

Le discours haineux s’attaque donc à la valeur même de certains individus, ainsi qu’à leur place dans la société. Pour cette raison, ce type de discours est considéré par l’État trop répugnant sur le plan moral pour être protégé par la liberté d’expression.

L’intérêt de l’affaire Ward (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres) c. Ward), 2016 QCTDP 18) tient au fait que le Tribunal des droits de la personne a sanctionné légalement, pour des raisons morales, un discours qui ne tombe pas dans la catégorie limitée des discours haineux. En effet, dans cette affaire, le Tribunal reconnaît d’abord que les propos reprochés à Ward ne sont pas de la nature d’un discours haineux (voir les paragraphes 127 à 129), mais condamne néanmoins celui-ci pour le préjudice qu’ont causé ces propos à la dignité, l’honneur et la réputation de Jérémy Gabriel.

Puisque les propos de Ward n’entrent pas dans la catégorie des discours haineux, le Tribunal a-t-il erré en manifestant sa réprobation morale quant à ces propos par des sanctions légales ?

Afin d’écarter la protection généralement offerte à tout discours n’étant pas haineux, le Tribunal soulève deux facteurs déterminants. D’abord, le Tribunal s’appuie sur le fait que Ward a visé nommément, et à plusieurs reprises, Gabriel avec ses blagues. Ensuite, le Tribunal mine la valeur morale des numéros humoristiques de Ward en rejetant le débat démocratique que ces numéros souhaitaient provoquer. 

Sur le premier facteur, le Tribunal indique que le fait que les attaques répétées de Ward étaient directement dirigées contre Gabriel constitue une faute civile méritant une sanction. Le Tribunal analyse un tel comportement sous l’angle des règles applicables à la diffamation en responsabilité civile :

[129] Le litige dont le Tribunal est saisi se distingue du fait que les propos discriminatoires de monsieur Ward ne visaient pas un groupe mais une personne en particulier. La question est donc de déterminer si la liberté d’expression protégée par la Charte permet de faire des blagues discriminatoires en lien avec le handicap d’une personne nommément identifiée.

[130]     En matière de diffamation, les tribunaux ont dégagé une série de critères qui permettent de déterminer si l’atteinte à la réputation d’une personne est justifiée par la liberté d’expression. La véracité des propos et l’intérêt public sont des facteurs pertinents. Le contexte dans lequel les propos ont été prononcés, le ton employé, l’identité de l’auteur des propos et celle de la victime le sont également. Le Tribunal estime que ces critères sont aussi utiles au moment de déterminer si une atteinte discriminatoire au droit à la sauvegarde de la réputation, au respect de l’honneur et à la sauvegarde de la dignité est justifiée par la liberté d’expression.

[…]

[136] En l’espèce, Jérémy a été pris pour cible, nommément et à plusieurs reprises, par monsieur Ward, et ce, sans jamais y avoir consenti. Ce consentement constitue la différence importante avec la situation de monsieur Dave Richer, dont a fait mention monsieur Ward dans son témoignage. Le fait que Jérémy soit connu du public en raison de ses activités artistiques l’expose à être l’objet de commentaires et de blagues sur la place publique, mais cela ne saurait être interprété comme une renonciation à son droit au respect de son honneur, de sa réputation et de sa dignité, sans discrimination fondée sur son handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

[…]

[138] En tenant compte du contexte, le Tribunal conclut que les blagues de monsieur Ward ont outrepassé les limites de ce qu’une personne raisonnable doit tolérer au nom de la liberté d’expression. La discrimination dont Jérémy a été victime est injustifiée.

[Nos soulignements]

En utilisant les critères de la diffamation et en s’attardant au fait que Ward a pris pour cible Gabriel personnellement, et ce à plusieurs reprises, le Tribunal s’éloigne d’une analyse strictement fondée sur l’interaction entre différents droits protégés par la Charte québécoise et se rapproche davantage d’une analyse de la responsabilité civile de Ward suivant les règles générales du Code civil.

Sous cet angle d’analyse, l’ensemble des circonstances tend effectivement à démontrer que Ward a commis une faute civile à l’égard de Gabriel, soit de l’avoir diffamé d’une manière qui s’apparente au harcèlement. Malgré que cette analyse soit bien fondée à plusieurs égards, elle pose le problème de la compétence matérielle du Tribunal à l’entreprendre en premier lieu, celui-ci n’ayant pas juridiction pour trancher des actions en diffamation. Ce problème de forum mine la justesse des motifs invoqués, puisque le Tribunal tente au final de justifier ses conclusions à l’aide de notions relatives aux droits fondamentaux qui s’adaptent mal aux réelles fautes de Ward.

L’analyse du Tribunal devient toutefois encore plus problématique lorsqu’il conclut à l’absence de valeur démocratique du discours de Ward. Voici comment le Tribunal définit le débat soulevé par les propos de Ward :

[47] Dans le spectacle « Mike Ward s’eXpose », monsieur Ward a voulu démontrer que l’on peut rire de tout. Le numéro intitulé « Les Intouchables » porte sur des personnalités publiques dont il est difficile de rire sans créer un malaise. Rire d’un enfant crée un malaise, d’où sa décision de prendre Jérémy pour cible.

Le Tribunal refuse toutefois d’accorder une quelconque valeur démocratique à un tel débat dans les termes suivants :

[123] Dans l’arrêt Whatcott, la Cour Suprême a établi que « les écrits et les discours ne seront pas traités sur un pied d’égalité lorsqu’il s’agit de trouver un juste équilibre entre des valeurs concurrentes » ; « selon leur nature, les divers types d’écrits et de discours se rapprochent ou s’éloignent relativement des valeurs fondamentales à la base de la liberté [d’expression], ce qui à son tour influe sur la valeur de l’écrit ou du discours en question par rapport aux autres droits garantis par la Charte  dont l’exercice ou la protection peut porter atteinte à la liberté d’expression.»  Ainsi « il y a bien des façons d’exercer sa faculté d’expression et toutes ne constituent pas, sur un même pied d’égalité, l’exercice d’une liberté fondamentale ».

[124]     Dans l’arrêt Irwin Toy, la Cour Suprême a dégagé les trois valeurs sous-jacentes au droit à la liberté d’expression, à savoir l’épanouissement personnel, la recherche de la vérité par l’échange ouvert d’idées et le discours politique qui est fondamental pour la démocratie. Plus le propos litigieux est lié à l’une de ces valeurs, plus grand est son poids dans l’exercice de pondération des droits.

[125] La Cour Suprême a jugé que le discours politique doit jouir d’une reconnaissance particulière sur le plan de la liberté d’expression. Pour trancher ce litige, le Tribunal doit déterminer si les propos humoristiques bénéficient aussi d’un statut particulier.

[…]

[137]     Le Tribunal note, par ailleurs, que les blagues reprochées à monsieur Ward ne soulèvent pas une question d’intérêt public et ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un débat public sur des questions d’intérêt général.

[Nos soulignements]

En évaluant ainsi les numéros humoristiques de Ward, le Tribunal adopte une posture maximaliste sur le plan moral. Le Tribunal n’arrête pas en somme son évaluation morale des propos en cause à une constatation qu’il ne s’agit pas d’un discours haineux; il décide de pousser plus loin son analyse et de déterminer la valeur démocratique du débat soulevé par ces propos. Ce faisant, le Tribunal décide que la question de savoir s’il est sain de ne pas pouvoir rire de certaines personnalités publiques sans créer un malaise ne constitue pas une question d’intérêt général. Partant, il ne reste des propos de Ward que des railleries offensantes et des blagues blessantes : la valeur morale de son discours, une fois dépouillé de son débat démocratique sans intérêt, est nulle, nous dit le Tribunal.

Certes, il se peut que certaines personnes soient d’avis que le débat soulevé par Ward est trivial ou sans intérêt démocratique. Une telle évaluation engage toutefois des considérations morales trop exigeantes en matière de liberté d’expression. En fait, la liberté d’expression existe précisément pour empêcher l’État de porter des jugements aussi extensifs sur la moralité d’un discours. En s’engageant dans une telle évaluation, le Tribunal confond la moralité et la légalité du discours de Ward.

En raison de ces deux faiblesses, la décision du Tribunal dans l’affaire Ward semble vulnérable à une révision par la Cour d’appel du Québec. Si Ward se voit déchargé de sa responsabilité légale envers Gabriel à l’issue de procédures en appel, il ne faudrait toutefois pas pour autant en conclure qu’il s’est dégagé par le fait même de sa responsabilité morale envers celui-ci.

À cet égard, les travaux du Professeur Leslie Green sur le discours juste (right speech), qui furent inspirés par les enseignements du Buddha, peuvent nous éclairer sur la bonne utilisation de la liberté d’expression (http://freespeechdebate.com/en/discuss/leslie-green-on-right-speech/). En effet, comme l’affaire Ward nous le démontre bien, les cadres moraux minimalistes sous-tendant la liberté d’expression nous font souvent perdre nos repères quant à notre appréciation de la réelle valeur morale d’un discours.







Friday 22 July 2016

New Situation where the Quebec Charter Applies to the Federal Crown


By Francis Legault-Mayrand

In the case of Hinse v. Canada (Attorney General), 2015 SCC 35 [Hinse], the Supreme Court provided further clarification as to the application of the Charter of Human Rights and Freedoms, CQLR c C-12 [the “Quebec Charter”] to the Federal Crown.

Before Hinse, the state of the law on this question had been established in a 2002 Court of Appeal decision, Ouimette v. Canada (Procureur général), 2002 CanLII 30452 (QC CA), in which it was held that the Quebec Charter did not apply to the Federal Crown when it carried on activities within a field of federal jurisdiction. This general principle has been tempered significantly by the Supreme Court in Hinse, which found that a litigant could rely on section 49 of the Quebec Charter to claim punitive damages against the Federal Crown.

In Hinse, the appellant, Mr. Réjean Hinse, sought damages against the Federal Crown in relation to his unjust imprisonment which lasted some 15 years. Specifically, the appellant argued that the Minister of Justice committed a civil fault pursuant to article 1457 of the Civil Code of Quebec in exercising its “power of mercy” under the Criminal Code. In addition to compensatory damages, the appellant sought punitive damages pursuant to section 49 of the Quebec Charter, because in his view the Minister’s conduct was an “unlawful and intentional interference” with his rights protected under the Quebec Charter.

Despite the fact that the Minister had acted in an exclusive field of federal jurisdiction, the Supreme Court of Canada held that a litigant could claim punitive damages based on the Quebec Charter under the circumstances, since the scheme of punitive damages under the provincial statute complemented the Quebec rules of extracontractual liability which the Federal Crown is subject to:

[160] In our opinion, the scheme established by the Charter in this regard can be seen as complementing the rules of extracontractual liability. The Charter [translation] “has the effect of complementing the protection afforded by the Civil Code by creating a new remedy that enables victims to claim punitive damages that are not available under the [Civil] Code”: L. Perret, “De l’impact de la Charte des droits et libertés de la personne sur le droit civil des contrats et de la responsabilité au Québec” (1981), 12 R.G.D. 121, at p. 170.

[161] Thus, the scheme of punitive damages provided for in s. 49 of the Charter is not distinct from and inconsistent with the rules of extracontractual civil liability. Rather, they contribute to this area of the law without being totally subsumed by it. The two sets of rules intersect at several levels, but the remedy under s. 49 is not entirely subordinate to the conditions for civil liability. It can constitute an autonomous scheme that creates remedies that are not based in civil liability: de Montigny, at para. 44; Cinar, at para. 124; Quebec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) v. Communauté urbaine de Montréal, 2004 SCC 30 (CanLII), [2004] 1 S.C.R. 789, at para. 26.

[…]

[163] For these reasons, we conclude that the reference in the C.L.P.A. [Crown Liability and Proceedings Act, RSC 1985, c C-50] to provincial law encompasses the remedy of punitive damages provided for in the Charter. We would add that since punitive damages are also available in the law of the common law provinces, this conclusion favours a more uniform application of the law of Crown liability across the country. Having resolved this preliminary issue, we will now consider whether it was appropriate to award such damages in this case.

In the end however, the Supreme Court did not award punitive damages since it concluded that there had been no “intentional interference” by the Minister of Justice, as his conduct “cannot be equated with bad faith or serious recklessness” (para.165).

Although Hinse is largely known for reiterating or summarizing the test to establish a civil fault committed by the Crown, it also provides for a new situation where the Federal Crown is subject to the Quebec Charter. Thus, Hinse is indeed a useful case to consider by litigants who may find themselves in a situation where their fundamental rights are better protected by the provisions of Quebec Charter than by those of the Canadian Charter.


Friday 15 July 2016

Court of Appeal (Reluctantly) Clarifies Starting Point for Time Limit in Appeal


By Audrey Boctor


While it may not be the most riveting topic, the Court of Appeal’s decision in Martineau c. Ouellet, 2016 QCCA 142 is nonetheless one that every litigator in Quebec needs to know.

At issue was the interpretation art. 360 of the new Code of Civil Procedure, and more specifically, the meaning of “the date of the notice of judgment”:

360. La partie qui entend porter un jugement en appel est tenue de déposer sa déclaration d’appel avec, s’il y a lieu, sa demande de permission d’appeler, dans les 30 jours de la date de l’avis du jugement ou de la date du jugement si celui-ci a été rendu à l’audience.

Le dépôt et la signification d’un appel incident ont lieu dans les 10 jours de la signification de la déclaration d’appel ou de la date que porte le jugement autorisant l’appel.

360. A party intending to appeal a judgment is required to file a notice of appeal within 30 days after the date of the notice of judgment or after the date of the judgment if it was rendered at the hearing. If leave to appeal is required, the notice of appeal must be filed together with an application for leave to appeal.

A notice of incidental appeal must be filed and served within 10 days after service of the notice of appeal or after the date of the judgment granting leave to appeal.

What might seem like a simple question was in fact not so simple to answer:

[21] Ceci étant, demeure la question suivante : la date de l’avis de jugement est-elle la date que porte l’avis de jugement, qui correspond, de façon générale, à la date où il est inscrit au plumitif de la cour compétente, ou la date de la réception de cet avis (prise de connaissance) ou, encore, la date de l’expédition de cet avis? 

Under the former Code of Civil Procedure (art. 494), the rule was “[…] within 30 days of the date of the judgment / […] dans les 30 jours de la date du jugement”.  The Court of Appeal had interpreted that as meaning 30 days from the date the party had knowledge or ought to have had knowledge of the judgment, so as to ensure that parties would have a full 30 days to exercise their rights (para. 23).

Clearly the wording changed from old to new CCP, but what did this change mean?  The Minister’s Comments were, unfortunately, “guère utile” (para. 22): on the one hand, the Minister wrote, “[c]et article reprend essentiellement the droit antérieur”; at the same time, she specified that “[l]e point de départ pour calculer ce délai de 30 jours est  […] la date de l’avis du jugement prévu à l’article 335, et non la date de la notification de cet avis.” Essentially, une chose et son contraire.

The notice of judgment to which art. 335 refers is distinct from the actual judgment and is meant to notify the parties that judgment has been rendered.  Both are registered on the docket.  While one might think the notice and the judgment would be sent together, this is in fact not always the case.  As the Court points out, in some districts both are sent together by mail; in others they are sent separately, by different means and on different dates. In all cases, there is a lag, longer or shorter depending on the circumstances, between registration on the court docket of the notice of judgment and the judgment itself and their notification to the parties. Of course, in some districts (such as Montreal) it is common practice for the judge’s assistant to email a copy of the judgment to the parties, often before it is even registered on the docket. However, “[c]et envoi, non systématique, est par ailleurs volontaire et n’est assujetti à aucune politique ou directive interne.  Cette pratique ne peut cependant tenir lieu des modalités prescrites par le C.p.c.(para 19).

After examining the legislative history, the Court, much to its dismay, came to the conclusion that the legislator intended for time to run as of the date of the notice, regardless of when the notice is actually sent or received by the parties:

[30] Lu de concert avec les commentaires in fine de la ministre et les débats parlementaires, l’historique législatif atteste du bien-fondé de la thèse avancée par la procureure générale. Ainsi, la Cour est d’avis qu’en vertu de l’article 360 C.p.c., le point de départ du délai d’appel d’un jugement autre que celui rendu à l’audience correspond à la date que porte l’avis de jugement, et non à la date de sa connaissance ni à celle de son envoi. Le législateur privilégie ainsi un point de départ du délai d’appel unique pour toutes les parties d’un même dossier, peu importe leur nombre, et qui, au surplus, fait abstraction de toutes ambiguïtés factuelles entourant l’identification de la date réelle de connaissance de l’avis de jugement. Le calcul du délai d’appel, que ce soit aux fins de l’émission d’un certificat de non-appel (article 3073 C.c.Q.) ou de l’exécution d’un jugement, s’en trouve ainsi simplifié, à tout le moins en théorie.

[31] Ceci étant, il demeure qu’en s’écartant ainsi du droit antérieur, le législateur fait un choix qui peut en étonner plusieurs, notamment à la lumière des principes déjà énoncés par la Cour. (Emphasis added)

As the Court points out, its prior jurisprudence was based on the importance of the right of appeal and on giving parties a full 30 days to examine their options and make a decision:

[33] On aurait pu penser qu’il devait en être de même en vertu du nouveau Code de procédure civile où le droit d’appel, de même que le temps de réflexion, demeurent tout aussi importants.

[34] On aurait également pu croire que les parties devaient bénéficier « […] du [même] plein délai de 30 jours voulu par le législateur […] », peu importe que le jugement soit rendu à l’audience ou après délibéré. Or, vu le choix du législateur, tel ne pourra en toutes circonstances être le cas si ce n’est qu’en raison du seul délai administratif inhérent à l’émission de l’avis de jugement après son inscription et à sa notification aux parties. Le délai d’appel se trouve ainsi à courir avant même que les parties soient informées que le jugement a été rendu. On peut donc s’interroger sur la raison d’être d’un délai moindre que les 30 jours prévu par le législateur, qui sera fonction, un, de la décision du juge de mettre le dossier en délibéré par opposition à sa décision de le prononcer à l’audience et, deux, des procédures administratives au sein du district judiciaire concerné.

At the end of the day however, it is for the legislator to make such decisions, even if the Court disagrees:

[36]  Mais il demeure que le législateur s’est exprimé et qu’il lui était loisible de s’écarter des principes énoncés par la Cour sous l’ancien Code de procédure civile. Il ne revient pas aux tribunaux de légiférer à sa place. Le point de départ du délai d’appel d’un jugement autre que celui rendu à l’audience correspond donc dorénavant à la date que porte l’avis de jugement.

[37]  Par ailleurs, pour rendre le tout cohérent et pallier les difficultés potentielles résultant du choix du législateur, il importe que les greffes soient en mesure de faire le travail que celui-ci leur a confié et que les moyens nécessaires à cette fin soient mis à leur disposition. Il ne revient pas aux juges d’assumer ce rôle en transmettant aux parties une copie de leurs jugements dès leur signature, avant même que ceux-ci ne soient inscrits au plumitif et que l’avis de jugement ne soit émis. La pratique est certes commode, mais, comme l’indique le paragraphe [19], elle ne remplace pas les formalités édictées par le C.p.c. et ne peut remédier aux insuffisances du système.

To make a long story short: the time limit in appeal starts to run from the date of the notice of judgment, regardless of when the parties or their counsel receive the notice or even the actual judgment.


Friday 8 July 2016

L’exemplarité en droit disciplinaire : un facteur modelé par les circonstances



Par Raphael Lescop avec la collaboration de Joel Roy

Dans la décision Gagnon c. Ingénieurs (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 97, le Tribunal des professions souligne le caractère modulaire du facteur de dissuasion dans la détermination des sanctions en droit disciplinaire. En effet, le Tribunal mentionne que celui-ci devra être plus ou moins pris en compte selon le contexte particulier dans lequel s’inscrit l’infraction.

Le dossier concerne les actes d’une ingénieure qui aurait, selon le Tribunal, « procédé à [un] stratagème de falsification de bordereaux de dépôts » (para 10) en vue de créer une « réserve budgétaire » à partir de laquelle le paiement des travaux supplémentaires pouvait s’effectuer sans recourir au processus de directive de changement (para 14). Ayant plaidé coupable devant le Conseil de discipline, l’ingénieure considère néanmoins la sanction de 18 mois de suspension comme étant trop sévère dans les circonstances. Selon ses prétentions, le Conseil aurait « trop insisté sur l’exemplarité et la protection du public » et pas assez sur l’absence de « conséquences matérielles » causées par sa faute (para. 27).
Après avoir réitéré le rôle principal des Conseil de discipline d’assurer la protection du public, le Tribunal énonce qu’il est justifié de donner préséance à l’exemplarité de la sanction lorsqu’un contexte de manquements déontologiques généralisés nécessite un son de cloche particulier à l’ensemble de la profession :

[35] Le Conseil pouvait également tenir compte que les ingénieurs ont vécu et vivent toujours une période trouble et ainsi s’assurer que la sanction imposée dissuade un autre professionnel d’agir comme l’a fait l’appelante.

[36] Au sujet des raisons pouvant justifier le Conseil à mettre l’accent sur le volet exemplarité, notre tribunal écrit dans Mercier c. Médecins (Ordre professionnel des) :

[35] La décision du Conseil comporte un volet d’exemplarité et de dissuasion. Il s’agit de l’un des objectifs reconnus dans le cadre de l’imposition d’une sanction en droit disciplinaire. Le caractère exemplaire d’une sanction n’est pas réservé aux cas où il y a lieu de faire cesser une pratique généralisée ou lorsqu’une situation nouvelle pourrait devenir répandue chez les pairs, à défaut d’envoyer un message à la communauté professionnelle.

[36] La notion d’exemplarité trouve également son fondement dans la gravité de l’infraction, dans son caractère répétitif et dans la nécessité d’assurer la protection du public. À cet égard, le Conseil rappelle que l’effet dissuasif et exemplaire d’une sanction ne doit pas être un concept statique et doit être modulé à la lumière de l’évolution de la société et de la pratique de la médecine. (…).

[37] Force est de constater qu’en l’espèce, le Conseil détenait les éléments suffisants pour justifier de donner préséance à l’exemplarité en imposant une radiation temporaire de 18 mois : les infractions sont sérieuses, un système complexe et fort bien structuré a été mis en place par l’appelante qui l’a utilisé pendant deux ans et la nécessité de protéger le public en raison du fait qu’il s’agissait d’une pratique courante dans la profession. (nos soulignements)
Bref, même si le caractère fautif d’une pratique ne sera déterminé que par référence au caractère objectif de celle-ci, la rigueur de la sanction dépendra de facteurs qui dépasseront parfois les simples faits et conséquences du dossier lui-même. Que les professionnels se le tiennent pour dit : il suffit d’être celui pointé du doigt pour risquer de faire les frais de l’ensemble des adhérents d’une pratique blâmable.