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Friday 8 April 2016

Les héritiers sont-ils à l’abri de tout recours trois ans après la décharge du liquidateur de la succession?

Une héritière peut-elle être poursuivie plus de trois ans après la décharge du liquidateur de la succession?

Voici la question sur laquelle devait se pencher le tribunal dans le cadre de l’affaire André J. Lessard et Associés inc. c. Bélanger, 2016 QCCS 1161.

Le tribunal était saisi d’une requête en irrecevabilité de la défenderesse en arrière-arrière-garantie dans une cascade de recours en garantie dans un dossier de vices cachés.

Le vice allégué, était, comme bien souvent dans ce genre de dossier,  la présence de contaminants pétroliers dans un immeuble dans lequel il y avait eu des réservoirs souterrains.

La requérante, poursuivie à titre d’héritière, plaidait que même en prenant les allégations pour avérées, le recours contre elle était prescrit depuis 1998 en application de l’article 816, al. 2 C.c.Q. car la décharge du liquidateur de la succession a eu lieu en 1995. 

L’article 816 C.c.Q. est ainsi libellé :
816. Les créanciers et légataires particuliers qui, demeurés inconnus, ne se présentent qu'après les paiements régulièrement effectués, n'ont de recours contre les héritiers qui ont reçu des acomptes et contre les légataires particuliers payés à leur détriment, que s'ils justifient d'un motif sérieux pour n'avoir pu se présenter en temps utile. 

En tout état de cause, ils n'ont aucun recours s'ils se présentent après l'expiration d'un délai de trois ans depuis la décharge du liquidateur, ni aucune préférence par rapport aux créanciers personnels des héritiers ou légataires.

Le tribunal rejette la requête en irrecevabilité selon deux arguments, dont le deuxième a un intérêt plus large que le premier.

Le premier argument veut que le certificat de décharge de Revenu Canada ne démontre pas que le liquidateur a obtenu sa décharge conformément au Code civil du Québec en 1995. Une telle décharge ne serait possible qu’après une publication dans le Registre des droits personnels et réels immobilier de l’avis de clôture du compte du liquidateur.

Le deuxième argument tient pour acquis que la décharge du liquidateur a eu lieu en 1995 et porte sur la question substantive de l’application du deuxième alinéa de l’article 816 C.c.Q. en matière de vices cachés.

Malgré une décision de la Cour supérieure venant à la conclusion contraire, le tribunal tranche que comme le droit des demandeurs en arrière-arrière-garantie n’est né que lorsqu’ils ont été eux-mêmes poursuivis, ils ne pouvaient avoir perdu ce droit en 1998, trois ans après la décharge du liquidateur. 

Le juge Ouellet s’exprime comme suit, mettant l’emphase sur le principe de la transmission des droits et obligations du défunt aux héritiers:

[32]  L’obligation de garantie de qualité du bien vendu dont le de cujus était le débiteur fait partie de son patrimoine. À son décès ce patrimoine est transmis à ses héritiers qui continuent ensuite sa personnalité juridique, sous la réserve introduite en 1994 qu’ils ne peuvent être tenus de payer à ses créanciers plus que la valeur de ce qu’ils ont reçu  L’idée que par l’effet de l’article 816 C.c.Q. l’obligation de garantie de qualité du bien vendu soit par la suite éteinte après un délai de trois ans, avant même que le droit du créancier d’y recourir ne soit né, tranche fortement avec le régime de transmission de droits et obligations du défunt élaboré par le législateur. Avec égard pour l’opinion contraire, pour conclure que c’est là l’intention du législateur, le Tribunal estime qu’il faudrait retrouver des indications claires en ce sens qui sont absentes du libellé de l’article 816 C.c.Q. [soulignements ajoutés]

Jusqu’à la fin de l’année 2015, peu de décisions interprétaient le 2ème alinéa de l’article 816 C.c.Q.

Dans son analyse dans cette affaire, le tribunal s’appuie notamment sur l’article de la professeure Christine Morin dans Christine MORIN , « Chronique - Les recours des créanciers et légataires particuliers impayés et la barrière de l’article 816 C.c.Q. », dans Repères, Septembre 2013, EYB2013REP1410 , ainsi que sur la décision récente du juge Laporte dans l’affaire Grenier c. Fritz (Succession de), 2015 QCCQ 14614 (CanLII), portant sur des faits similaires.

Bien que l’analyse de l’article 816 C.c.Q. sous l’angle du moment de la naissance de la créance avalisée par le juge Ouellet soit fort intéressante,  cette approche a des implications graves pour les héritiers, susceptibles d’en prendre plusieurs au dépourvu.

Comme le démontre cette affaire, par l’effet de la conjugaison de la garantie de qualité du bien vendu et du droit des successions, les héritiers peuvent devoir faire face à des poursuites pour des montants importants, des années après avoir reçu leur héritage et encore plus longtemps après la vente d'un bien dont ils peuvent tout ignorer.

Sur ce point, notons que dans cette affaire le lien entre la requérante et l’immeuble concerné par le litige était fort distant; la requérante était l’héritière de l’héritier (décédé en 2011) de celle (décédée en 1995) qui avait, en 1979, vendu l’immeuble de son vivant.

Il semble donc que même plus de trois ans après la décharge du liquidateur, les héritiers ne sont pas à l'arbri de recours en vices cachés. Voici un élément additionnel à considérer avant de dépenser des sommes reçues en héritage!


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