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Friday 30 October 2015

LE RÉGIME DE L’ABUS DE PROCÉDURE SOUS LE NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE



Me Raphaël Lescop, qui s’est joint à Irving Mitchell Kalichman au cours de l’été dernier, est l’un des auteurs du Grand Collectif – Code de procédure civile commentaires et annotation qui vient tout juste d’être publié aux Éditions Yvon Blais. Tous les articles du nouveau Code de procédure civile y sont commentés et toute la jurisprudence pertinente y est résumée. Pour votre information, un colloque est organisé les 11 et 12 novembre prochain à Hôtel Omni Mont-Royal (grandcollectif.editionsyvonblais.com) et il est toujours possible d’y participer. Chacun à leur tour, les auteurs y présenteront le fruit de leur analyse.

Avec l’autorisation des Éditions Yvon Blais, afin de donner un aperçu de l’ouvrage, nous reproduisons ci-après le commentaire de Me Lescop sur le nouvel article 51, anciennement l’article 54.1 C.p.c. Le législateur corrige le texte de la disposition en énonçant qu’un acte de procédure peut être déclaré abusif sans égard à l’intention de la partie l’ayant introduit. Ce faisant, le législateur a voulu mettre un terme à la controverse née dans la foulée de l’arrêt Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037 rendu en 2011 et qui est expliquée ci-après.

ARTICLE 51 DU NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

L’article 51 al. 1 accorde aux tribunaux le pouvoir de déclarer, à tout moment, sur demande et même d'office, qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif. Ce texte reprend essentiellement le texte de l’article 54.1 al. 1 a. C.p.c. sous réserve d’une omission : il n’est plus prévu que le tribunal doit au préalable entendre les parties avant de déclarer abusif 
une demande en justice ou un autre acte de procédure.

Ce silence dans le texte de l’article 51 al. 1 est toutefois sans conséquence puisqu’il s’agit là d’un « principe fondamental d’équité procédurale » qui n’a pas à être codifié pour devoir être respecté par les parties et le tribunal (Fabrikant c. Swamy, 2010 QCCA 330, EYB 2010-170047, par. 30). Il faut aussi mentionner que l’article 17 al. 1 précise que « [l]e tribunal ne peut se prononcer sur une demande ou, s’il agit d’office, prendre une mesure qui touche les droits d’une partie sans que celle-ci ait été entendue ou dûment appelée ». En ne précisant pas à l’article 51 que le tribunal doit au préalable entendre les parties, le législateur a manifestement voulu éviter la redondance avec l’article 17.

L’article 51 al. 2 énumère les situations pouvant être déclarées abusives par le tribunal, soit :

·         sans égard à l'intention, une demande en justice ou d'un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire;
·         sans égard à l'intention, un comportement vexatoire ou quérulent;
·         l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable;
·         l'utilisation de la procédure de manière à nuire à autrui;
·         le détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.

En comparant le texte de l’article 51 al. 2 et celui de l’article 51.1 al. 2, on constate que le législateur a ajouté les termes « sans égard à l’intention » afin de qualifier les deux premières situations abusives qui sont décrites.

Ce faisant, le législateur a voulu mettre un terme à la controverse née dans la foulée de l’arrêt Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037 rendu en 2011. La Cour d’appel y avait décidé que pour déclarer un acte de procédure abusif en vertu de l’article 54.1 a.C.p.c., il était requis de déceler une mesure de blâme, de mauvaise foi ou de malveillance chez la partie l’ayant introduit (par. 58). Une telle interprétation de l’article 54.1 a.C.p.c. faisait en sorte qu’il n’était plus possible de demander le rejet d’une demande en justice au seul motif qu’elle était manifestement mal fondée (par exemple, parce que prescrite). Pourtant, l’ancien article 75.1 a.C.p.c., que l’article 54.1 a.C.p.c. visait à remplacer et à bonifier, le permettait.

La controverse a été réglée par la Cour d’appel en 2013 dans l’arrêt Gauthier c. Charlebois (Succession de), 2013 QCCA 1809 (par. 31). Sans faire référence expressément à l’arrêt Acadia Subaru invoqué ci-haut, la Cour d’appel confirme qu’il n’est pas requis de démontrer la malveillance ou la mauvaise foi. La démonstration que la demande en justice est manifestement mal fondée suffit.

Le législateur, au nouvel article 51, confirme l’approche retenue dans l’arrêt Gauthier c. Charlebois (Succession de). L’ajout des termes « sans égard à l’intention » vise spécifiquement à écarter les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Acadia Subaru qui limitait la portée de l’article 54.1 a.C.p.c. Les commentaires du ministre lors de l’étude détaillée du projet de loi n°28 (le mercredi 23 octobre 2013 – vol. 43 n° 77) le révèlent clairement :

M. Bertrand St-Arnaud :

Cela dit, M. le Président, le second alinéa [de l’article 51] regroupe, sous la notion générale d'abus, plusieurs cas ou situations similaires qui sont en eux-mêmes des manifestations d'un exercice abusif du droit. Outre l'abus de droit prévu par les articles 6 et 7 du Code civil, sont abusifs les demandes ou les actes manifestement mal fondés, frivoles ou dilatoires et les comportements vexatoires ou quérulents. À la suite de la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Acadia Subaru c. Michaud, où la Cour exigeait de rechercher l'intention d'abuser de la procédure, la disposition propose de préciser qu'il peut y avoir abus sans égard à l'intention d'abuser.

Alors, c'est une des recommandations du rapport qui a fait le bilan des cinq années d'application de la loi n° 9, M. le Président. Donc, c'est pour ça qu'on retrouve, au deuxième alinéa : «L'abus peut résulter, sans égard à l'intention, d'une demande en justice ou d'un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire ou d'un comportement vexatoire ou quérulent.» […]

Et donc, parmi ces décisions, donc, il y avait la décision Subaru qui établissait et réaffirmait plusieurs principes importants, dont cette nécessité d'un comportement blâmable. Et c'est […] donc qui venait un peu limiter la portée de la loi n° 9. Alors, c'est ce qu'on règle finalement, parce que je pense qu'on veut que cette loi n° 9 ait une portée réelle, on veut – manifestement, ce n'était pas clair – que ça ait une portée réelle. Certains souhaiteraient même qu'elle ait une portée encore plus grande, mais je pense qu'on fait un bout de chemin. La députée avait fait le premier bout de chemin en 2009, et là, en ajoutant «sans égard à l'intention» au deuxième alinéa de 51, on vient clarifier les choses par rapport aux deux courants de pensée jurisprudentielle, et donc on va donner plus de mordant ou de dents à cette disposition de 54.1.

Ainsi, le régime de l’article 51 vise une gamme de situations « abusives » incluant, à une extrémité du spectre, la simple introduction d’un acte de procédure manifestement mal fondé, sans nécessité d’une démonstration additionnelle de mauvaise foi, de témérité ou d’un refus injustifié de faire face à l’évidence (i.e. le test de l’ancien art. 75.1 a.C.p.c.).

Par ailleurs, soulignons que le législateur a conservé le moyen d’irrecevabilité prévu à l’art. 165(4) a.C.p.c. dans le nouveau Code de procédure civile. Ainsi, selon l’article 168, al. 2, une partie peut « opposer l’irrecevabilité si la demande ou la défense n’est pas fondée en droit, quoique les faits allégués puissent être vrais. Ce moyen peut ne porter que sur une partie de celle-ci ».

La question suivante demeure alors ouverte : face à une demande en justice ou une défense mal fondée en droit à sa face même, qu’est-ce qui empêchera une partie de recourir au régime du nouvel art. 51 et s. pour en demander le rejet ? En effet, une demande en justice ou une défense qui n’est « pas fondée en droit » peut tout autant être qualifiée de « manifestement mal fondée ».

La question est pertinente car il existe des avantages à utiliser le régime de l’article 51 plutôt que celui de l’article 168. Par exemple, selon l’article 30, les jugements qui rejettent une demande en justice en raison de son caractère abusif sont appelables sur permission (lire, à titre d’exemple,  le jugement récent de la Cour d’appel Axiome Média TV inc. c. 9126-5959 Québec inc., EYB 2015-253176 (C.A.), contrairement aux jugements rejetant une demande en justice en vertu de l’article 168 C.p.c. qui sont appelables de plein droit.

Voir sur ces questions : Raphaël LESCOP, « Les articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile : la mise au rancart de l’article 165(4) et le retour de l’irrecevabilité partielle en droit québécois », (2010) 69 R. du B. 319 ; Raphaël LESCOP, « L’arrêt Acadia Subaru c. Michaud : la conciliation difficile entre l’art. 54.1 et 165(4) du Code de procédure civile », (2011) 70 R. du B. 169.

En terminant, il y a lieu de souligner qu’ailleurs dans le Code de procédure civile, le législateur décrit une autre situation abusive qui s’ajoute à celles décrites à l’article 51 al. 2. En effet, à l’article 106, le législateur énonce la règle selon laquelle il est désormais interdit, dans une déclaration assermentée accompagnant un acte de procédure, de répéter les faits déjà énoncés dans cet acte de procédure. Un simple renvoi aux paragraphes pertinents suffit. Selon l’article 106, une contravention à cette règle « peut constituer un abus de la procédure ».

À l’évidence, le législateur attache ici beaucoup d’importance à la réduction de la taille des procédures.



Friday 23 October 2015

VICTIME PAR RICOCHET ET LA PRESCRIPTION DE SIX MOIS PRÉVUE À LA LOI SUR LES CITÉS ET VILLES

Par Julien Lussier

La sœur, la belle-mère et le père d’une personne décédée en raison, avancent-ils, d’une faute de la Ville de Montréal, intentent leur action contre celle-ci plus de six mois après le décès. Est-ce à bon droit qu’ils soutiennent fonder leur recours sur l’obligation de la Ville de réparer le préjudice corporel causé à autrui, assujettissant du même coup celui-ci à la prescription triennale prévue à l’article 2930 du Code civil du Québec (« CcQ »)?

C’est à cette question que la Cour d’appel devait répondre dans Dorval c. Montréal (Ville de). Celle-ci, s’appuyant sur une analyse sémantique des notions de dommage, préjudice et dommages – qui fait ressortir la double signification du terme préjudice -  fait droit à l’appel, confirmant l’application de l’article 2930 CcQ aux victimes par ricochet du préjudice corporel subi par autrui.
Au cœur de son analyse, la substitution de la notion de préjudice, qui se retrouve à 1457 CcQ, à celle de dommage, qui figurait à l’article 1053 du Code civil du Bas-Canada :

[35] L’obligation de réparer le dommage causé à autrui (C.c.B.-C., art. 1053) demeure dans le nouveau Code malgré le vocable préjudice substitué à celui de dommage. Ainsi, à l’article 2930 C.c.Q. qui renvoie à l’obligation de réparer le préjudice corporel, où le terme préjudice signifie le dommage et non le préjudice qui en est la répercussion.

[36] La responsabilité civile oblige à indemniser toutes les victimes de sa faute. Ici, le décès reproché à la Ville constitue un préjudice corporel dont les Appelantes sont aussi des victimes qu’elle doit donc indemniser.

[37] Et, corollaire obligé, l’action des Appelantes contre la Ville est fondée sur « l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui ».

[38] En conséquence, l’exception de 2930 C.c.Q. trouve ici application.

La Cour se livre alors à une étude de la jurisprudence en matière de réclamation pour préjudice corporel par ricochet, qui vient avaliser la catégorisation du préjudice selon sa source, et non plus sa nature.

Les appelants fondant leur recours sur un préjudice tirant sa source d’une atteinte à l’intégrité physique - indéniablement un préjudice corporel - et considérant d’autre part l’obligation faite à quiconque d’indemniser les victimes du préjudice causé par sa faute, l’action des appelants est donc fondée sur l’obligation qui est faite à la Ville de Montréal de réparer le préjudice corporel causé à autrui au sens de 2930 CcQ, d’où la prescription triennale.

[74] Si l’on s’en tient à la nature - et non à la source - du préjudice subi par les proches de la victime décédée, bien sûr qu’elles ne subissent aucun préjudice de nature corporelle puisque leur propre intégrité physique n’est nullement atteinte. Par contre, si l’on distingue dommage et préjudice, on constate que leurs préjudices - de nature matérielle ou morale - sont la répercussion du décès de leur parente, et donc, elles sont victimes du dommage corporel causé à celle-ci, ou du préjudice corporel causé à celle-ci, selon le nouveau vocable.

[75] Je n’ose écrire que les Appelantes subissent un « préjudice corporel », car la jonction de ces deux mots nous renvoie instantanément à la nature du préjudice et non à sa source alors que l’expression « victimes d’un préjudice corporel » laisse place au lien entre le préjudice et sa source, selon la nouvelle classification.


Le recours des appelants n’était donc pas prescrit au moment de son dépôt. 

Monday 19 October 2015

ADVOCACY: CHOOSE YOUR ARGUMENTS



By Doug Mitchell


Litigation being unpredictable, and lawyers being conservative, many lawyers are unwilling to not present every argument imaginable (and sometimes unimaginable) in trying to ensure that their client has every chance to win.  After all, who knows which one might resonate with the judge or judges hearing the case?  This is particularly the case where the lawyer files an appeal from a judgment where the lawyer feels that the judge in first instance got every single point wrong. (Often our reaction when we lose)

In spite of this, judges regularly tell lawyers that effective advocacy is about choosing the best arguments and making sure that these points are fully argued. Otherwise, the court is deprived of the benefits of advocacy on your client’s behalf, and is simply left with what seems to be a shopping list of undeveloped arguments to try and understand, accompanied by a sense that the counsel is desperate and has no real confidence in their position.

While there may be an attraction to ensuring that every argument is made, the reality is that with increased demands from the judicial system that it become more efficient, time and space are not infinite, nor is the attention span of the judges.  This necessarily requires choosing some arguments and abandoning others.  Ultimately this does in fact make for better advocacy.

A 2012 decision of the Manitoba Court of Appeal in R. v. Henderson (W.E.), 2012 MBCA 93 makes the point effectively, in the following terms:

47. This trial took 32 court days (13 pre-trial motions days and 19 actual trial days) in the Court of Queen’s Bench, spanning a 22-month period.  The first pre-trial motion was heard on January 14, 2008.  The judge delivered his last pre-trial ruling on October 27, 2008.  The jury trial commenced on October 19, 2009, and ended with the jury verdict on November 19, 2009.  During these proceedings, the judge was called upon to make at least 13 rulings on substantive issues.  This included four pre-trial motions dealing with the voluntariness of the accused’s statement, the validity of the search and seizure, the suitability of the photo pack and whether to allow an expert to testify on the frailties of eyewitness identification.  The other nine rulings occurred during the trial proper.

48. The accused has raised no less than 23 grounds of appeal.  In essence, he has appealed all of the above decisions which were not favourable to him.  As with all appeals, there are significant restrictions imposed on the parties in terms of the length of the factum.  To circumvent these restrictions, counsel for the accused inserted a phrase numerous times in his factum: for example, at ground 2: “The Appellant relies on his trial submission (Volume 9 p. 3 - 40, 45 - 80, Volume 10 p. 12 - 72) and case law referred to at that time.”  He then listed 25 cases, with no mention of the particular paragraph or paragraphs he relies on.  Similar wording can be found with respect to nine other grounds.  By proceeding in this fashion, counsel is in effect doing indirectly what he is not allowed to do directly: greatly exceeding the allowable pages for written argument by appended submissions.  Need we remind that the Court of Appeal Rules clearly state at Rule 29 that the factum will consist of four parts, each setting out “a concise overview,” “a concise summary of the facts,” “a concise statement identifying the issues in the appeal and the appellant’s position on each issue,” and “a concise statement of the argument … with particular reference to … the tab number and page in the case book for the authorities relied on” (emphasis added).  What counsel for the accused presented was anything but concise.  Not only did it not conform to our rules, it was inappropriate and not particularly helpful. 

49. Moreover, the practical effect of raising numerous grounds of appeal will generally result in less expansive arguments (both oral and written) and will almost always deprive the court of the benefit of a more comprehensive argument on the significant issues.  Since the Crown is required to abide by the same restrictions, the court will also almost always of necessity receive from it a less developed argument than would otherwise be the case had fewer grounds been argued by the accused.

50. Courts expect counsel to be of assistance in the appellate process.  They expect counsel not to waste the court’s valuable resources by simply dumping the appeal on the court’s lap.  Counsel are expected to have sufficient confidence to prioritize their arguments, to separate the wheat from the chaff and to provide fully developed arguments on what should be the real points for appellate review.  Not only is this in the best interests of their clients; it is in the best interests of the administration of justice. 

51. While there is no ceiling on the number of grounds an appellant may raise, appellate courts, when faced with a shotgun approach to appellate advocacy, must still focus on those issues which have real substance.  In doing so, a court will ordinarily be assisted by an appellant’s views as to the strength of any particular issue.  This strength can sometimes be revealed in an appellant’s factum by the extent of the written submission on any particular ground.  Unfortunately that is not apparent here.  The accused’s factum essentially apportions each ground equally: for the most part a two to three paragraph allocation to each ground.

52. The accused did however elaborate his arguments in four areas.  They relate to the judge’s refusal to invalidate a search warrant, to declare a mistrial on a conflict of interest, to instruct on certain issues and to grant a directed verdict on first degree murder.

53. At the hearing, counsel for the accused was also invited to argue only those grounds which, in his view, had the most merit.  Counsel chose to argue 13 grounds.

54. In my view, out of the accused’s avalanche of grounds, there are only five areas (which include the four issues mentioned above) that warrant consideration by this court.
Anyone surprised the appeal was dismissed?


Friday 9 October 2015

L’AVIS D’ADRESSE : un incontournable lorsqu’on est le saisissant d’un immeuble


Par Sophie Perron

Le 28 septembre 2015, dans la décision Caisse d’économie Desjardins Laurentide c. Larivée (2015 QCCS 4410), la Cour supérieure, sous la plume de l’Honorable Raymond W. Pronovost, j.c.s., rappelle l’importance pour le saisissant d’un immeuble de publier un avis d’adresse au registre foncier afin d’être informé des préavis d’exercice et autres inscriptions publiées ultérieurement à la saisie.

Dans cette affaire, la requérante Robert Fer et Métaux s.e.c. avait saisi avant jugement l’immeuble du défendeur Steve Larivée (la « saisissante »). Le créancier hypothécaire était Caisse d’économie Desjardins Laurentide (la « Caisse »). Rapidement, cette dernière avait informé la saisissante de son hypothèque et du fait qu’elle entendait faire valoir ses droits à ce titre.

La Caisse a par la suite publié un préavis d’exercice de prise en paiement, institué une requête en délaissement forcé et prise en paiement, et obtenu jugement l’autorisant à prendre en paiement ledit immeuble. La saisissante n’a pas été informée de la publication du préavis, de l’institution de la procédure de prise en paiement et du jugement de manière contemporaine à leur survenance.

La saisissante demandait donc la rétractation du jugement de prise en paiement sur la base entre autres que (1) l’immeuble avait été saisi avant jugement et ne pouvait faire l’objet d’un jugement pour prise en paiement et que (2) la saisissante aurait dû être mise en cause dans le cadre du recours hypothécaire de la Caisse.

Le tribunal rejette la requête en rétractation. Il mentionne au passage le principe que la saisie avant jugement n’est pas opposable au créancier hypothécaire qui n’est pas privé de son droit d’exercer son recours hypothécaire contre le bien grevé.

Il s’attarde plus longuement sur l’absence d’obligation du créancier hypothécaire d’aviser le saisissant de l’’exercice de son recours hypothécaire. L’Honorable Raymond W. Pronovost, j.c.s. écrit entre autres :

[18] Donc, si même un créancier hypothécaire postérieur n'a pas à être avisé du préavis d'exercice ou de la requête en délaissement, il serait un peu anormal que la demanderesse ait l'obligation de signifier tant le préavis d'exercice que la requête en délaissement au créancier saisissant.

[19] La demanderesse n'avait pas d'obligation d'aviser la requérante. Sur ce seul point, la requête en rejet doit être accordée. […]

[23] Si la requérante avait inscrit son adresse au registre approprié comme le prévoit le Code civil, elle aurait été avisée. La requérante se devait de faire une inscription de son adresse au registre approprié, ce qu'elle n'a pas fait.

Cette décision rappelle donc l’importance pour le saisissant d’un immeuble de procéder à la publication d’un avis d’adresse au registre foncier s’il veut être informé des inscriptions qui y seront faites suite à la saisie.


Friday 2 October 2015

POLICIERS ET PROCUREURS DE LA COURONNE : SEULS LES SECONDS BÉNÉFICIENT D’UNE IMMUNITÉ PARTICULIÈRE DANS L’EXERCICE DE LEURS FONCTIONS


by Leslie-Anne Wood
Le 25 août 2015, la Cour supérieure (Micheline Perrault, J.C.S.) décidait d’un recours en responsabilité civile intenté par Jaggi Singh à l’encontre de deux policiers – pour arrestation et détention abusives – et d’un procureur de la Couronne – pour poursuites abusives. Il s’agit de l’affaire Singh c. Montréal (Ville de), 2015 QCCS 3853, où la Cour a été appelée à expliciter les critères de faute applicables à l’évaluation des agissements des policiers et des procureurs de la Couronne.

Au moment de son arrestation, M. Singh participait à une manifestation tenue dans le cadre de la Journée internationale de la femme. Il était alors assujetti – en raison d’une arrestation antérieure – à des conditions de remise en liberté, dont celle de « ne pas se trouver sur les lieux d’une manifestation qui n’est pas paisible et [de] quitter immédiatement les lieux de toute manifestation qui n’est pas paisible » (par. 36). C’est sur une prétendue violation de cette condition – et donc sur une allégation à l’effet que la manifestation n’était pas paisible – que les policiers motivèrent l’arrestation de M. Singh.

Dans l’exercice de leurs fonctions, les policiers s’exposent à des recours en responsabilité civile fondés sur les trois critères habituels (références omises):

[31]   Les principes de responsabilité civile extracontractuelle s’appliquent à l’ensemble des justiciables. Les policiers ne bénéficient d’aucune immunité particulière dans l’exercice de leurs fonctions. Il appartient donc à celui qui soutient avoir subi des dommages en raison de la faute du policier de prouver par prépondérance des probabilités les trois éléments générateurs de responsabilité civile : la faute du policier, ses dommages et le lien de causalité entre les deux.

[32]   C’est en comparant la conduite du policier au modèle du policier normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, qu’on doit rechercher si, oui ou non, il a commis une faute.

[33]   Les policiers qui procèdent à une arrestation doivent avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise.

Or en l’espèce, la preuve ne supportait pas la prétention des policiers suivant laquelle la manifestation n’était pas paisible. Pour cette raison, la Cour a jugé que l’arrestation avait été effectuée sans motifs raisonnables et probables, et donc en contravention à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme la Cour en vient également à la conclusion que c’était « de façon volontaire et délibérée, et uniquement dans le but de justifier l’arrestation de M. Singh, que les policiers […] ont déclaré la manifestation non paisible » (par. 112), ceux-ci ont été condamnés à titre personnel et de façon solidaire, à payer 15 000$ en dommages exemplaires à M. Singh.

En revanche, pour ce qui est d’évaluer si un procureur de la Couronne a commis une faute (en l’occurrence, en formulant, selon M. Singh, des offres de règlement dans le but illégitime d’éviter une poursuite éventuelle de M. Singh) – un critère spécial, décrit comme suit, doit être appliqué (références omises) :

[87]   La responsabilité des substituts est […] limitée à la faute intentionnelle, c’est-à-dire aux comportements qui révèlent une mauvaise foi, une intention de nuire, une volonté d’utiliser le système judiciaire dans un but illégitime ou de dénaturer la justice.

[88]   Les décisions prises par un procureur de la Couronne dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire échappent donc en général au contrôle judiciaire, sous réserve de l’application stricte de la règle de l’abus de procédure. En contrôlant judiciairement la conduite d’un procureur de la Couronne, les tribunaux n’interviendront que dans des cas exceptionnels […]


De l’avis du Tribunal, les faits de l’affaire ne permettaient pas de conclure que le procureur avait commis une telle faute dans l’exercice de ses fonctions.